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Ladislas

Portique en charpente


J'ai eu l'idée il y a environ un an de prolonger l'ouvrage en charpente que j'avais fait précédemment, ce qui m'a lancé dans un vaste projet. L'ouvrage fait près de 7 mètres de long pour 1 mètre 50 de large et environ 3 mètres de haut et comporte 96 pièces dont 30, constituées par les moucharabiehs, sont composées chacune de 6 à 14 pièces encastrées les unes dans les autres. J'ai dû utiliser pour assembler ce portique 129 chevilles en robinier. Comme je n'ai pas eu le temps de tout façonner d'une traite en raison de mon activité professionnelle principalement, j'ai pu goûter aux caprices du bois sur une année, avec deux des poutres maîtresses parfaitement corroyées en sortie de scierie qui ont eu la pénible idée de se vriller en tire-bouchon au fil du temps, des liens strictement taillés à 45 degrés dont l'angle s'est ouvert en quelques mois, et j'en passe - j'ai dû les reprendre un à un; quant aux immenses poutres transversales, les assemblages chevillés à la tire aidés de quelques sangles pour le montage ont eu raison de leurs velléités d'indépendance. Une particularité de ce travail est que j'y ai inséré un quadrilobe en pierre de Savonnières que j'ai taillé l'an dernier, fixé dans la charpente par deux goujons en fibre de verre. J'ai veillé à laisser du jeu autour de la pierre, afin qu'elle n'éclate pas au fil des changements hygrométriques: je dois en tailler deux autres qui trouveront leur place dans les losanges laissés vides.

J'ai lié le nouveau portique à l'ancien par un trait de Jupiter à feuillure et à tenon en T, certes un peu petit mais fonctionnel, dont la taille a été déterminée par l'extrémité débordante que j'avais laissée précédemment, alors que je n'avais pas le commencement de l'idée du présent travail; comme la poutre maîtresse de l'ancien ouvrage s'était rétractée considérablement en séchant et que la scierie me l'avait de toute façon fournie sous dimensionnée par rapport aux cotes communiquées, alors que les nouvelles poutres souffraient du défaut inverse par endroits, j'ai choisi de laisser la jonction telle quelle, sans raboter, en rattrapant autant que possible les différences par un chanfrein pratiqué sur la pièce la plus grosse (j'ai compris au passage qu'il me fallait faire preuve d'esprit de dialectique pour ce qui concernait la charpente, contrairement à la menuiserie, et que mes habitudes de travailler au dixième faisaient se gondoler au sens propre les bouts de bois avec lesquels j'essayais de m'expliquer...) J'ai utilisé un type d'assemblage japonais à queue d'aronde débouchante nommé Ari-kake pour relier chacune des trois entretoises à la poutre maîtresse en façade: cela était nécessaire, car il y avait en ce point une quintuple jonction dont il fallait assurer la parfaite solidité.

Pour les croisillons du bandeau supérieur, j'ai dû imaginer un assemblage particulier, étant donné que je voulais qu'ils soient assemblés à onglet en insertion partielle dans les poutres basse et haute, sans aucune cheville apparente - de fait, les 16 chevilles qui assemblent chaque section s'arrêtent à 2,5 centimètres de la surface externe. Seuls les assemblages structurels sont apparents. Pour les quelques 120 mortaises nécessaires, j'ai utilisé une mortaiseuse à chaîne Makita qui s'est avouée vaincue par le chêne au bout d'une centaine: j'ai dû finir la dernière vingtaine à la main pendant qu'elle allait se faire soigner au SAV de Makita. J'ai été passablement surpris au début par le caractère un peu...rustique des services rendus par ce type de machine jusqu'à ce que Michael Maillien, excellent charpentier et youtubeur belge m'explique que tout cela était normal, et qu'il fallait un peu de jeu dans les assemblages - je l'ai clairement compris au montage final. Contrairement à mon précédent travail de charpente, j'ai traité le bois (du chêne, exclusivement) uniquement à l'huile de lin, trouvant que le goudron de Norvège rougissait trop le bois. Les poteaux reposent sur des blocs taillés en pierre de Souppes, une des plus dures de France. Une couverture en tuiles de Bezanleu doit venir assurer prochainement la mise hors d'eau de l'ensemble.
Je suis très heureux d'avoir mené un tel chantier: si c'était à refaire, je le referais, mais je crois que j'en resterai là à présent - sauf si ça me reprend...-, car la charpente, pour être l'un des plus beaux métiers que je connaisse, est aussi l'un des plus durs physiquement, et j'en sors tout moulu, bien que demeure avant tout le plaisir de voir ça quand je sors de chez moi désormais.

Mise à jour: j'ai finalement rehuilé l'intégralité du portique après ponçage avec de l'huile d'abrasin, aussi appelée huile de tung, bien meilleure que l'huile de lin à tous égards. Je l'ai appliquée en sept couches, la dernière venant après un léger ponçage. Il convient de bien ressuyer l'ensemble au moment de la polymérisation, pour éviter des îlots plus brillants au milieu d'un rendu mat: moyennant cela on obtient un rendu absolument parfait qui rend le bois totalement hydrophobe et insensible aux UV. J'ai également traité le quadrilobe afin qu'il devienne hydrophobe, pour éviter qu'une éventuelle pénétration des tanins au fil des lessivages dûs à la pluie vienne risquer de le tâcher.

Mis à jour

Publications associées


Discussions

Ladislas a publié la création "Portique en charpente".
il y a 2 ans
glaude
( Modifié )

quel boulot!

Ladislas

Oui, tu l'as dit!

Lansau

Hé bien, très impressionnant ! et en plus si je comprends bien ça ne sert pas vraiment, juste pour la beauté de l’œuvre.
Et vous n'avez pas peur pour vos mains de concertiste ?

Ladislas

Bonjour Lansau,
bien sûr que si j'ai peur et je m'imagine à chaque instant le pire. J'essaie d'être très vigilant. Si j'ai réalisé ce travail, c'est que l'épisode sanitaire délirant des années 2020 à 2022 a plus ou moins détruit de fond en comble le domaine de la culture, et que je ne saurais rester oisif. Mais là les concerts reprennent et je suis heureux d'avoir pour ainsi dire terminé.

sylvainlefrancomtois
( Modifié )

oh p......!! vahou quel magnifique boulot ! Du Mozart 😍
Y aura t'il une casquette au chevronnage pour protéger un peu cette frise superbe ??

Ladislas

Merci Sylvain!
Oui sans doute, mais je ne sais pas vraiment comment le faire... Tu aurais une idée?

sylvainlefrancomtois

Ladislas hello, il faut juste que ton chevronnage soit passant au dessus du faîtage pour quelques env 50 cm max! !pinterest.fr/p...32465388181952/

Sinon c’était un autre pan plus court sur consoles (mais taillé en amont)

pinterest.co.k...33299617656732/

Ladislas

sylvainlefrancomtois Mille mercis à toi! Le pan sur consoles aurait considérablement alourdi le propos. Quant à l'autre solution, je crains qu'elle n'évoque une sorte de casquette un peu trop lourde visuellement. Je vais y réfléchir.

Blanche
( Modifié )

Ouaouh ! Quel travail ! Magnifique ! Bravo !

Ladislas

Merci Blanche!

campion
( Modifié )

bonjour joli travail.As tu fait des rainures de drainage ou des trous d'evacuation pour eviter que l'eau de pluie stagne dans les rainures qui recoivent les caillebotis?
Merci pour le partage

Ladislas
( Modifié )

Bonjour Campion, je te remercie pour ton commentaire et ta question qui est parfaitement pertinente. J'ai songé à faire cela mais j'ai choisi finalement une autre solution dans la perspective du risque d'une obturation progressive des trous de vidange. J'ai choisi une solution qui est sans doute contestable, bien qu'elle soit invisible: le comblement de la rainure la plus basse par de la résine, qui rend en principe toute pénétration d'eau impossible. Je serais curieux de savoir ce que tu en penses.

campion

bonjour c'est une bonne idée ,elle est souvent utilisée en naval avec de la resine epoxy;l'inconvenient si il y en a un c'est peu etre la difficulté de restaurer les panneaux ou la traverse basse dans quelques dixaines d'années.bon copeaux, kenavo

Ladislas

campion , merci à toi pour ce retour. Dans quelques dizaines d'années, mon Dieu, qui sait ce qui restera de tout cela...🙂

LaurentBauvir
( Modifié )

Superbe ! Une vraie oeuvre d'art, y compris d'un point de vue un peu théorique pourrait-on dire, puisqu'il n'a pas d'autre fonction que le simple fait d'être là, d'être beau, d'être le témoin du geste de sa réalisation et d'être un symbole de ce que ça nous inspire...

Le quadrilobe est étrangement passé un peu sous silence malgré son rôle central. Peux-tu nous en dire plus, ou alors il est posté sur l'air de la pierre ? 🙂

Ladislas
( Modifié )

Merci Laurent!
Je ne me suis pas étendu sur le quadrilobe car nous sommes sur l'air du bois et je ne voulais pas risquer d'être hors sujet ou d'indisposer éventuellement Boris. Mais puisque tu me le demandes en commentaire: je me suis mis à la taille de pierre l'an dernier afin de mettre en chantier une rosace flamboyante du 15e siècle que voici, encore inachevée. Le quadrilobe de la charpente constituait un exercice préparatoire, que j'ai voulu intégrer à l'ensemble. L'avantage de la taille de pierre sur le travail du bois c'est que c'est beaucoup moins dangereux en terme d'outillage et de type de poussières éventuellement inhalées - du moins pour les pierres calcaires. J'ai donc innové ici semble-t-il en insérant une pièce en pierre dans une charpente, chose qui ne se fait pas en principe en raison des problèmes de dilatation du bois. J'ai pris mes précautions en surdimensionnant le logement et en laissant reposer la pierre sur un feutre synthétique assez épais et invisible à l'extérieur: seul l'avenir pourra dire si c'était une idée durable ou à éviter absolument.

dependancesbois
( Modifié )

Travail conséquent et superbement réalisé !!! Bravo et chapeau bas !

Ladislas

Je te remercie, dependancesbois, pour ton si gentil commentaire!

AdrienC
( Modifié )

Chouette à voir, chouette à lire, félicitations!

Ladislas

Merci Adrien!

Artanux

C'est magnifique! Quel travail, bravo!

Ladislas

Merci Artanux!

kaj
( Modifié )

La lecture de ton à propos m'a fait penser à une rencontre au salon du bois à Epinal avec un facteur de clavecin qui me disait voir les ouvrages comme une partition de musique pour que tout soit harmonieux.
Il m'a pris l'exemple d'un escalier ayant une marche plus haute que les autres, ça accroche!
Pour en venir à ton ouvrage, le mariage de la pierre et du bois est très élégant et c'est vraiment un très gros et beau boulot!

Ladislas

Mille mercis pour ton si gentil commentaire, kaj!

MRemy

Bonsoir Ladislas.
Quel boulot !
Les assemblages de charpente m'ont toujours fascinés.
C'est un régal de voir ton œuvre.
Bravo à toi !
Cdlt,
Rémy

Ladislas
( Modifié )

Merci à toi Rémy pour ton commentaire! Je suis heureux si ça peut te plaire.

MRemy

Bonsoir Ladislas,et encore merci pour cette œuvre.
J'ai une petite question concernant la finition. Quelle propriété a l'huile de lin sur un bois qui va rester en extérieur ?
Cdlt,
Rémy

Ladislas

Bonsoir Rémy,
L'huile de lin va permettre au bois d'être protégé autant que possible d'une certaine part des agressions habituelles auxquelles sont soumis les ouvrages en extérieur: humidité et ultraviolets, mais aussi des minuscules champignons responsables du noircissement du chêne. Alors, bien sûr, il faut, environ tous les deux ans si tout va bien renouveler l'application. C'est un procédé naturel et relativement peu cher. Un de mes amis m'a parlé des saturateurs bois que je ne connaissais pas, qui semblent remplir ces fonctions de manière encore plus efficace. Je regrette de ne pas en avoir été informé avant, sinon je crois que j'aurais opté pour cette solution. Peut-être n'est-il pas trop tard, si je passe la charpente à l'acétone... Si quelqu'un peut me renseigner à ce sujet, j'en serais très heureux!

MRemy

Merci Ladislas.
Effectivement l'utilisation de l'huile de lin semble avoir à peu près les mêmes caractéristiques que les saturateurs.
J ai moi même utilisé du saturateur pour ma table et mon banc (sipo et acacia),2 couches en "mouillé sur mouillé ".
Je ne sais pas si c'est plus efficace mais ce que je sais c'est qu'il faudra un jour en remettre.
Je pense qu'il n'y a pas de produit miracle pour des bois en extérieur.
Cdlt,
Rémy

Ladislas

Merci Rémy pour ta réponse! En effet, le soleil et la pluie ont raison de tout à la longue...

jacquespatry
( Modifié )

belles réflexions sur la conception et la mise en œuvre,du beau boulot, bravo à vous 👌

Ladislas

Merci à vous, Jacques!

TyCoat
( Modifié )

Fabuleux, passionnant,inutile et beau! Le sommet de l’art

Ladislas
( Modifié )

Merci TyCoat pour ta remarque généreuse! Cependant non, pas inutile. Cela contribue à montrer que nous autres êtres humains ne sommes pas gouvernés que par notre tube digestif et par une société productiviste qui ignore tout de ce qu'est la vie. Ce portique est une sorte de tableau, qui lorsque je suis dans la cour magnifie mon jardin qu'il rythme et encadre, et qui lorsque je suis dans le jardin, par ses proportions et ce qu'il signifie, entraîne mon esprit vers autre chose que l'administration stricte du quotidien. Nous ne sommes pas des fourmis ni des abeilles, n'en déplaise à Mandeville.

MICHEL06
( Modifié )

respect, MONSIEUR.
ton CV est tout autant impressionnant.
Bravo

Ladislas

Merci à toi Michel!

Maillien Michael
( Modifié )

Beau boulot 😉 👍

Ladislas
( Modifié )

Merci Michael pour ton appréciation et pour ta disponibilité quand j'avais besoin de comprendre certains détails liés notamment à l'utilisation de ma KC100! Et puis comme tu le vois j'ai finalement réussi à faire rendre raison à ces grandes poutres capricieuses!

Gilles43
( Modifié )

Bonjour et chapeau bas pour ce magnifique et gigantesque ouvrage
Ca transpire la passion et inspire le respect!!
c'est vrai que de la charpenterie émane quelque chose de magique
Alors BRAVO et RE BRAVO pour ce travail et un grand merci pour le partage méticuleusement documenté

Ladislas

Merci Gilles!

HENRYCh

Toute la passion transpire dans ce chef d'oeuvre!
Bravo et chapeau bas !

Ladislas
( Modifié )

Mille mercis, Henry, ton commentaire me touche beaucoup.

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