J’ai acquis cette encoignure en vente aux enchères à Strasbourg pour 150€ hors taxes.
J’avais déjà posé une question ici à son sujet mais l’ayant regardé de plus près je pense qu’il est intéressant d’aller plus loin.
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Origines ?
Le travail est typiquement 18ème voir fin 17ème. Fait main, régional lorrain d’inspiration Louis 14, clous en bois, clous forgés, quincaillerie typique, marqueteries épaisseur 2,5mm (1 ligne, 2ème moitié du 18ème siècle)
À l’arrière une étiquette pour le transport du meuble par la Compagnie des chemins de fer de l'Est , crée le 17 décembre 1845 et disparue le 31 décembre 1937.
Sur l’étiquette on peut deviner la destination : Strasbourg, mais pas le départ, à priori qqpart entre Paris et Strasbourg.
Pour dater, je ne suis pas spécialiste mais les fiches à larder m’interpellent. Les parties mâles sont fuselées et sur les parties femelles une sorte de petite cuvette autour des cavités rend la mise en place extrêmement confortable, elle existe aussi sur les parties mâles. Dommage, une seule est intacte, deux sont abîmées la quatrième que j’avais prise pour la seule d’origine est un bricolage affreux.
Toutes les fiches ont été démontées à l’arrache et remise en place calées par des petits coins en bois. Une partie des pointes d’origine ont été remises en place, d’autres remplacées. A l’époque ce sont les serruriers qui posaient les fiches, souvent brutalement ce qui explique qu’elles ont du être reprise, malheureusement par un bricoleur qui on le verra à causé pas mal de dégâts.
Le plateau
Le plateau en chêne comme le reste du meuble présente deux trous à égale distance de l’arrière qui semble indiquer qu’un deuxième corps se trouvait dessus.
Il est fixé par des clous sur des traverses absolument indignes d’un ouvrier du bois, cependant leur épaisseur a été réduite avec des outils à main (scie à gauche et gouge à droite), pour permettre au tiroir de s’insérer et elles sont collées à la colle forte. Donc peut-être réparation relativement ancienne.
Par ailleurs les deux premières planches verticales qui forment les côtés présentent la traces de queues d’arondes qui ont été sciées sous le plateau. Tout indique donc que le plateau a été changé.
J’ai démonté l’arrière du plateau, il est assemblé à plat joint et collé à la colle forte, les surface ont été striées au rabot à dents.
Les côtés
Les côtés sont constitués de quatre planches assemblées à rainures et languettes entre elles et avec les montants.
Leur surface visible est soit brute de sciage ou dégrossi au riflard.
On ne voit pas l’intérieur qu’un bricoleur de génie a recouvert de large planches généreusement clouées.
Dans une fente on aperçoit les restes d’un lézard.
Les côtés sont assemblés avec le plancher bas par des queues d’aronde qui ont bien souffert.
À l’origine pas de traverses, pas de cadre, c’est plutôt rustique. Peut-être pratiqué parfois à l’époque.
Par un trou on peut voir l’assemblage à rainures et languettes de l’étagère qui s’insère dans une rainure taillée dans le côté.
À l’arrière une planche clouée fait la liaison entre les deux côtés, elle semble plus récente.
Des chevilles font également le lien entre les montants de la façade avant et la première planche des côtés.
En fait on constate qu’à l’origine même si la construction est assez primitive elle était solide car tout pouvait travailler ensemble mais en tapissant l’intérieur avec des bois en travers des premiers ça a déstructuré l’ensemble, les languettes sont sorties des rainures, des fentes sont apparues partout.
La façade.
La façade et les portes sont construites classiquement, tenons et mortaises chevillés. J’adore voir toutes les traces du travail des artisans du passé : trusquin, tranchet, outils, marques d’établissement. C’est en observant ces meubles anciens réalisés par de modestes artisans régionaux que l’on comprend vraiment le travail aux outils manuels. Seule la façade visible fait l’objet d’une finition fine, des techniques de rattrapage des imprécisions du travail à main sont appliquées partout.
Les pieds sont typiquement de style Louis 14, celui de gauche est très abîmé.
Celui de droite a subit une greffe que l’on devine à peine. On remarque aussi le volume rajouté et fixé par des chevilles.
Des greffes chevillées sous la traverse du bas, certainement pour économiser le bois. On sent d’ailleurs que le bois est précieux, les parties présentant de gros défauts sont utilisées pour les pièces non visibles.
Les portes
Comme le reste de la façade les portes sont d’une réalisation classique : petit cadre, tenons, mortaises, chevilles.
Les panneaux sont marquetés de frises de bois locaux en assez bon état au regard du reste du meuble.
Les quincailleries comme les fiches sont de très belle qualité même si elles sont assez simple. Cette qualité n’existe plus aujourd’hui, ça va être un problème pour remplacer les fiches abîmées ou manquantes.
Le fait d’avoir obtenu la clé d’époque est une très bonne surprise.
Le mystère s’épaissit
Pour mieux comprendre j’ai entrepris de démonter le plateau. Cloué sur tout le pourtour avec de longs clous pris dans le bois par la rouille il s’agissait de faire le moins de dégâts possible. J’utilise des petits coins en frêne, paraffinés, et dès que j’obtiens 1 mm de fente j’y introduit une lame de scie à métaux et je coupe les clous. Ça marche super bien, rien d’abimé.
Surprise, l’envers du plateau est plaqué de noyer, du plaquage mal posé et qui n’a pas été vernis!
En poursuivant les investigations je découvre qu’il y’a deux couches de plaquage de moins d’1mm d’épaisseur donc plus récent que le meuble d’origine.
Il va falloir tout démonter pour arriver à comprendre.
J’ai démonté les côtés. Là pas le choix, il faut y aller en force, au moins 50 clous “modernes” sont plantés dans des planches horizontales et les traverses sous le plateau et recouvrent l’intérieur du meuble pour les solidariser avec les planches d'origine, verticales de l’extérieur.
Il y a des clous complètement rouillés et d’autres en relativement bon état. Donc deux “restaurations” éloignées dans le temps.
Une première semble correspondre à “l’arrachement” du meuble à son coin et clouage d’une nouvelle liaison à l’arrière et quelques clous pour renforcer l’ensemble. Plus tard changement du plateau et regarnissage de l’intérieur.
Les planches rajoutées sont rabotées à la machine. Je découvre aussi 6 clous forgés par côté, 3 à l’avant et trois à l’arrière qui fixent les parois extérieurs aux étagères et plancher. Ce sont certainement des éléments d’origine.
En plus des rainures et languettes entre montants et côtés, de longues chevilles les relient.
l’étagère du tiroir et le plancher sont aussi reliés aux traverses de la façade chacun par six chevilles et certainement de la colle. Ils se sont rétractés, au milieu cela a tiré les traverses de façade en arrière mais à cause des rajouts les côtés n’ont pas pu suivre et ont décollé les montants de la façade.
Je constate qu’en observant les pièces d’origine, même s’il s’agit d’une conception primitive, c’est de qualité. Le corroyage de l’intérieur du meuble est parfait, les assemblages aussi une fois qu’on a compris ce qui a causé les dégâts.
Le tiroir
Comme le reste le tiroir a subi une “restauration” mais aussi des dégâts à cause de sa conception.
Le fond est assemblé par clous en bois avec les côtés, quand le fond travaille il déforme l’ensemble.
La façade du tiroir est marquetée comme les panneaux des portes. Le fond du tiroir est en sapin.
Une baguette de hêtre a été collée sous les côtés, semble t’il pour surélever légèrement le tiroir, sûrement après la modification du plateau.
Un des côtés a du être démonté puis recollé à la colle forte.
Les quincailleries sont de très belle qualité.
J'ai démonté l'ensemble du tiroir, les queues d’aronde du coté gauche n'avaient jamais été démontées bien que portant les stigmates d'une tentative de démontage, il n'y a pas de trace de colle dans l'assemblage ce que j'ai observé aussi sur les tenons et mortaises du cadre de la façade.
Par ailleurs il y a des trace de colle de poisson qui semblent provenir du plaquage alors que les collages plus récents et mal fait sont de la colle forte.
Peut-être qu'à l'époque de la réalisation du meuble il était courant que les assemblages n'étaient pas collés ?
Faisons le point
J'ai terminé le démontage, impossible de tout raconter, j'ai maintenant une idée plus précise sur la construction et le parcours de cette encoignure.
Au départ je croyais que le meuble avait été fait par une main pas très habile, au fur et à mesure du démontage je me suis rendu compte qu'au contraire il s'agissait d'un artisan qui maîtrisait très bien son art. Je fais tout à la main et je sais ce que ça représente. Par la suite divers bricoleurs ont sérieusement dénaturé et abîmé le meuble.
Le temps, les insectes et l'humidité on fait le reste.
Je comprend mieux pourquoi il y a des quincailleries de très belle qualité, elles devaient être très chères à l'époque et correspondaient à la qualité du travail. C'est d'ailleurs un problème car impossible de trouver des fiches à larder de cette qualité, j'ai cherché. Je vais voir avec mon serrurier s'il peut en faire une copie.
J'ai retiré près d'une centaine de clous "19ème ou 20ème", ça fait des dégâts de les enlever, ceux que j'ai pu scier ou laisser je les ai arasé avec la Dremel. A l'origine si on fait abstraction des fiches à larder il n'y avait que des chevilles, une quarantaine et 6 grands clous forgés.
En plus des clous il y a aussi de la colle forte posée n'importe comment à droite à gauche alors qu'au départ il n'y avait pas de colle dans les assemblages.
C'est certain, il y avait un niveau au-dessus du tiroir qui finalisait la structure, en attestent les queues d'aronde sciées sous le plateau, qu'elle était sa nature, mystère. Il y a deux trous pour des chevilles sur le sommet des montants, donc le plateau d’origine était fixé par des chevilles.
L'expérience a été traumatisante, je me retrouve avec un vrai puzzle, certaines pièces sont en plusieurs morceaux mais ma conviction est qu'il faut remonter le meuble comme il était à l'origine, et si possible avec les produits de l’époque.
Pour commencer je vais nettoyer chaque pièce puis essayer de reconstituer celles qui sont en morceaux.
Trois des quatre tenons des assemblages de la façade ont cassé comme du verre, le sciage des tenons à constitué l'amorce de la rupture, dès l'origine ça fragilisait la structure.
Il est temps de passer au remontage.
Discussions
note que au niveau rattrapage des défauts, chez Drouot on sait faire des photos , tu cadres la photo un poil différement et on aurait vu les défauts apparaitrent
pas trop de déception a la réception? tu avais pu voir le meuble ailleurs que sur la photo de présentation?
pas a pas très intéressant , merci de tous ces détails, bonne restau
Non aucune déception, je suis passionné par le 18ème siècle, je savais ce que j’achetais et plutôt satisfait par ce que je découvre.
À part ça rien que la quincaillerie présente sur le meuble vaut plus que les 180€ que ça m’a coûté.
Au final, quels que soient les choix que je ferai pour la restauration ce sera un meuble magnifique.
tu t'attaques à une belle aventure, il faut restaurer avec respect de la conception d'origine et donc de nos prédécesseurs. Il faut du temps mais le résultat sera au rendez-vous. En sus du travail c'est une leçon que tu reçoit. Comprendre les techniques d'assemblages, dont certaines sont complètement disparues et en découvrir les raisons de ce choix sont très porteur
Tu as raison, pour l’instant je cherche à comprendre comment le meuble est conçu et c’est passionnant. Mais les différentes interventions l’ont beaucoup abîmé et les insectes et champignons sont aussi intervenus. La restauration ne va pas être facile mais je ne baisse pas les bras!
Curieuse construction ce tiroir! quels sont les signes de déformation qui te font incriminer les clous en bois? les planches sont e=un peu large, certes, mais a priori ça devrait laisser assez de jeu non? En plus, avec cette forme tronconique, il "suffit" d'un clou à l'arrière pour que tout soit bien fixé. Bref, ça fait réfléchir au pourquoi du comment tout ça, merci de partager cette restauration!
donc il aurait concu et placé pour être inclus dans un coin couvert de boiserie
puis déménagé et recouvert pour être placé plus classiquement si je comprends bien
puis ce double placage, ces dizaines de clous et le reste: improvisation d' un amateur ? ou élève apprenant que son maitre fait recommencer sa tâche?
il a plus d'une histoire, gros chantier que de gommer ces reprises et remettre en valeur l'original et son premier concepteur (si réalisé à l'origine par un seul artisan )...a suivre
mofran Le meuble a été réalisé par un ébéniste qui maîtrisait son art, plus j’avance dans la déconstruction plus je réalise la qualité du travail.
Il y a eu ensuite des interventions de “bricoleurs” mais aussi de l’humidité, des insectes, qui ont bien abîmé le meuble.
Je ferai un bilan plus complet à la fin. Pas évident de tout comprendre.
pas de clous pas d'achat, les clous en bois c'est du local, puis á notre époque tout est fait pour nous faire oublier les ennuis qui vont avec le mélange de matériaux, fer et bois un soupcon d'humidité, différence de température entre matériaux et ca rouille
sacré défi ! je suis admiratif.
Pour les tenons qui ont cassé "comme du verre", c'est peu étonnant s'ils étaient en chêne : avec le temps (quelques dizaines d'années, pas 10 ou 20 ans), c'est un bois qui devient très cassant.
Eh oui! J’espère que ma réparation va tenir.
Là c’est du costaud! Je suis vraiment admirative pour le travail entrepris, même si cela heurte mon esprit déontologique qui a appris que les modifications du passé font partie du meuble (ou autre pièce antique) et ne se corrigent pas.
Sauf si ce ne sont pas des modifications mais plutôt des accidents. C’est comme ça que je qualifierais ces interventions !
Des repeints sur un tableau de maître par un amateur on ne laisserait pas.
Exact