Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'un de mes trucs personnels, mais de ce que faisait mon père.
Mon père était modeleur mécanicien pour les fonderies.
Il était artisan, et a travaillé toute sa vie dans l'atelier que j'occupe désormais. C'était une tradition familiale, mon grand-père l'avait été également.
Le métier de modeleur existe encore, mais a considérablement évolué, avec la cao, fao, impression 3D et autres machineries modernes. Le principe reste pourtant le même, et cela fait 4000 ou 5000 ans que cela n'a pas changé...
N'importe quelle pièce en métal coulé est réalisée à partir d'un modèle, c'est à dire, la forme positive, copie de la pièce à réaliser. Traditionnellement, ce modèle était en bois. A partir de la forme en bois, on réalise un négatif en sable très fin et pressé (le sable pour fonderies), et on coule la fonte, ou tout autre métal en fusion, dans le sable, un des rares matériaux à supporter les très fortes températures.
Le modèle sert un certain nombre de fois pour réaliser les moules en sables, puis est jeté, brûlé.
Mon père commençait donc avec un grand plan papier, plein de lignes dans tous les sens, noires, rouges, bleues, et il confectionnait la forme voulue. C'était un métier à la frontière entre menuisier, ébéniste, sculpteur, tourneur sur bois, etc. Il faisait également des pièces en métal, d'où le travail au tour à métaux, ou à la fraiseuse. Tout cela était bien sûr réalisé avec la plus grande précision, sachant que les mesures devaient prendre en compte le retrait de la fonte, quand elle se refroidit et se solidifie. D'où des réglets qui ne faisaient pas 1m, mais 97 ou 98 cm, c'est selon...
La plupart des modèles que mon père et mon grand-père ont réalisés ont disparu, brûlé quand ils étaient devenus inutilisables. Mais il reste quelques pièces. Je les ai récupéré, nettoyées. Ces pièces ont servi, elles ont des marques, elles sont parfois un peu usées. Les formes sont parfois étranges, on ne sait pas trop à quelle pièce de machine bizarre cela devait correspondre.
Il y a toujours autant besoins de modèles pour des pièces moulées, que ce soit en fonte, ou autres métal, ou plastiques.
Par contre, ils se font de moins en moins en France. La première vague de concurrence est venue des Pays de l'Est dans les années 70 /80, puis la Chine. Pour les modèles venus de Chine, un technicien de chez Michelin me disait que 1 sur 3 était mauvais et à jeter. Mais comme ils sont 4 ou 5 fois moins chers qu'en France, ils s'y retrouvent...
Et bien sur, le métier s'est complément transformé, avec la CAO / FAO, ce qui est une évolution logique.
La prochaine étape, c'est l'utilisation de plus en plus systématique de techniques d'impression 3D. Dans ce cas, même plus besoin de modèles, et possibilité de réaliser des formes inimaginables auparavant.
D'autre part, avec les révolutions technologiques, CAO, FAO, les modeleurs ont dû investir pour évoluer. Cela coûtait très cher de changer tout le parc de machines.
Il y avait tout un réseau de modeleurs artisans, indépendants, qui ont donc disparu, car ils n'ont pas pu soutenir l'effort d'investissement.
Mon grand-père avait acheté ses machines, souvent d'occasion, dans les années 20 de l'autre siècle, et mon père n'a quasiment rien acheté. Il est resté avec ses vieilles machines, et a pu résister jusqu'à la retraite, en 2000, à 70 ans, parce qu'il travaillait plutôt bien et qu'il avait quelques clients fidèles, mais c'était devenu bien plus difficile.
Ce qui fait que désormais, les modeleurs sont souvent des salariés intégrés dans quelques plus grosses boites.
Une ancienne explication du métier de modeleur en bande dessinée:
docslide.fr/do...-mecanique.html
Voici quelques pièces réalisées par mon père:
Une turbine ? Bien évidemment, chaque pale devait être à sa place exacte, au 1/10ième près.
Un carter pour une vanne, en tilleul:
Peut-être le temple de Louksor... ?
Pour des carcasses de pneu:
Encore des pneus:
Pièce inconnue... en tilleul.
Celle-ci ne payait pas de mine, et pourtant...
Les deux dernières photos montrent le négatif réalisé à partir de cette pièces, en résine:
La encore, avec le négatif en résine:
Pièce étrange, en soufre.
Cette technique est la même que la cire perdue. Quand on approche une allumette, le soufre s'enflame, et disparait. Il ne reste que la cavité.
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Modèle en métal:
Et pour l'atelier, c'est ici:
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Discussions
C'est magnifique !
ouha! la précision incroyable!
Je suis admiratif, quel boulot !
Question : avec quel bois sont faits ces moules ?
Merci
Les plus ancien sont en noyer. Le tilleul était souvent utilisé, car on peut le sculpter facilement. Egalement du contreplaqué de hêtre, aux plis fins, de très bonne qualité, dur et très stable.
Hêtre, platane et tilleul principalement.
Un peu de bois exotique.
Peut-être de l'érable, mais pas sûr. Kentaro confirmera !
Oui, en effet,il y a aussi du platane et de l'érable.
J'ai appris à fabriquer les modèles en aune ou aulne. C'est un bois qui se travaille très bien, moyennement dur avec un grain, pas de fil et un bel aspect, tiré de planches jusqu'à 90 mm d'épaisseur.
Article très intéressant, et plein d'émotion...
Fascinant, travaillant moi mêmes avec des sous traitant fondeur, c'est génial de voir cet héritage.
Merci Kentaro
Merci pour cette remontée dans le temps. Précision de folie !
A noter que les dimensions devaient prendre en compte le retrait du métal, quand il refroidit dans les moules. Il y a donc des réglets adaptés, qui ne font pas exactement 1m... mais 99 ou 98 cm...
Super travail c'est un art qui se perd j'ai travaillé 15 ans comme modeleur chez bélier une usine de brique réfractaire les moules pour les presses était en acier et les moule en bois était pour les briques que l'on façonnage a la main
C'est génial, j'adore aussi. Comme Jean Galmot ça me laisse pensif et nostalgique.
Le temple de Louksor est probablement un carter (avec portées d'arbres cylindriques qui dépassent), mais il reste bien mystérieux !
Cela me fais penser à la face avant d'une ancienne fraiseuse conventionnel
bravo,magnifique habileté !!
Superbe métier , mal connu mais au combien passionnant , ta présentation est magistrale , avec ces pièces superbes !! merci pour ce pan de patrimoine !!
Les pièces de menuisier modeleur ,étaient recherchées ces dernières années en brocante pour faire de la déco indus , leurs plastiques dans bien des cas ressemblent à de la sculpture abstraite .
Oui, je me dis que cela vaudrait le coup de les mettre en valeur, peut-être sous forme de lampes, ou autres... Mais je n'ai plus de place chez moi, et je n'ai aucune envie de les vendre...
Peut-être essayer d'en faire des copies comme pieds de lampes.
Nostalgie quand tu nous tiens ! Merci pour ce partage exceptionnel et pour tous les détails, il ne faut surtout pas oublier le travail des artisans, qui donnaient une âme à leurs créations, de plus en plus rare de nos jours.
Bonjour Kentora
Merci pour ce magnifique reportage sur un métier presque d'un autre âge. Eh oui tout évolue pour notre bien?????? je ne suis pas certain pour tout.
Encore bravo
Superbe, coïncidence, mon père avant d'être tisserand travaillait comme mouleur dans une petite fonderie, il nous disait qu'il jouait dans le sable! Le métier qui suit directement celui du tien !
Ah j'aime bien l'image de ton père qui "jouait dans le sable"!
Je pensais que tu étais très très compétent, mais en fait, ton père était bien meilleur!! :)
Blague à part, c'est magnifique de faire vivre cet héritage.
Ah je suis à 10 000 % d'accord. Je ne suis qu'un tout petit bricoleur à coté de lui. De toute façon, il me le dit tous les jours: "tu n'es pas du métier! ". Et c'est vrai...
Sont durs ces pères quand même!
Ouais, la précision, des mains en or, sont apparemment génétique chez les Kentaro. Superbe collection et tu as raison il ne faut pas vendre ça. J'ai chez moi une hélice de bateau comme ça cela fait de très jolies pièces
Kentaro je comprends la fierté de ton père par rapport à son travail, mais il est dur. Ton travail est superbe.
Peut-être, mais ce n'est pas du tout la même chose...
Ah je vois ce que tu veux dire en effet.
Je comprends mieux pour la précision, avec une petite ressemblance des fondeurs de cloches, merci et bravo à tes ancêtres et à toi.
Bel hommage
Tres beau article
Moi j'ai plein de platane. J adore ce bois et pas cher
Un vrai trésor cet héritage
Je suis modeleur c’est un métier très passionnant mais hélas qui se perd
Ah, en voila un ! :)
Cela m'interesse de savoir comment tu travailles. A l'ancienne, ou bien avec des cnc, résines, etc ?
Malheureusement on travaille de plus en plus en commande numérique et on utilise du contreplaqué,résine type lab,polystyrène mais on essaye de garder quand même notre savoir faire manuel
Superbes modèles qui me rappellent ma jeunesse où j'ai appris à fabriquer de tels modèles. C'est à cette occasion que j'ai touché, pour la première fois, des machines à bois (avant je n’avais utilisé que des outils à main).
Superbe article !
Au-delà du savoir-faire et de la finalité purement fonctionnelle passée, ces objets ont maintenant une valeur en eux-mêmes. Certains font penser à des œuvres d'art abstraites et tous mériteraient d'être exposés. Les deux premiers sont magnifiques, entre autres.
On comprend mieux aussi la filiation dans les réalisations que tu nous propose, petites ou grandes, dont les télescopes hyper-précis. T'es pas du métier mais t'assures quand même ;-)
Possible d'avoir une idée du temps de travail pour faire le tout premier modèle ?
Une très belle histoire de famille ! Tu es un peu le conservateur du musée familial. Merci pour ce partage.
Merci de partager ce magnifique héritage!
Merci à vous tous pour vos commentaires! Je transmettrai à Papa! A 87 ans, il bricole encore. Il est en train de refaire son portail en chêne. Comme j'ai pris toute la place dans son atelier, il a dû s'exiler dans son garage...
L'autre jour, je l'ai surpris sur une échelle à 6 m de haut, il enlevait les feuilles dans les gouttières sur le toit. Il avait bien sûr réussi à mettre l'échelle (un gros machin de 6 m, tout en bois, bien lourd, comme on les faisait avant), debout tout seul... On met l'échelle à plat par terre contre deux gros moellons, on soulève depuis l'extrémité, en avançant, jusqu'à ce que l'échelle soit verticale, on maintient à bout de bras. On fait un tour à 90°, échelle pivotant sur une pied, en équilibre debout, et on pose conte le mur. C'est un peu délicat, mais tout simple... Il a fait cela toute sa vie. Il fait 1,65m, et 60 kg... Bien évidemment, à tout moment, l'échelle peut basculer et tout emporter...
Kentaro: C'est quand il jugera qu'il ne peut plus faire cela que les choses seront inquiétantes. Jusque là tout va bien, reste cool...
c est drôle on dirais mon père ! ;)
Il a réalisé entièrement toute sa maison, maçonnerie, charpente, huisseries, électricité... et toujours assuré la maintenance. Alors, il continue...
Kentaro c'est ça qui le maintient, si il sent qu'il peut le faire, faut laisser. Un petit homme mais un grand monsieur.
Oui, je sais bien...
Ton père, ce héros...
Superbe article pour magnifique un travail, un métier et des savoirs faire qui se perdent car il faut toujours aller plus vite...
Je ne peux que te conseiller à encourager ton papa à continuer à bricoler ! (certaines choses sont peut être dangereuses mais avec prudence l'activité est le meilleur secret de la longévité ;)
Merci et entièrement d'accord...
wow Oo C'est fou !
Merci pour le partage !
Bravo au papa, moi je veux bien être comme lui dans quelques années !!!
Un magnifique travail d’orfèvre, on voit bien que les machines n’ont bien rien de plus que ces artistes!!!
Magnifique, magique et émouvant...,
Grand respect pour ces magiciens,
Qu’elle maîtrise ...!!
Et merci à toi pour ce partage !
Merci!
Un tel artisan qui part en retraite, c'est une bibliothèque qui disparait... mais oui, le progrès doit être s'il soulage le travail de l'homme et même au prix d'une révolution...
Non, camarade ne te réjouis pas trop vite, je parlais surtout de révolution technologique ou conceptuelle...
Révolution veut dire revenir au point de départ, c'est aussi souvent le cas en matière de ce que certains proclament comme du progrès.
C'est aussi en regardant les performances de nos aïeux que l'on invente les vrais révolutions de demain.
Je comprends bien mieux la démarche de ton travail désormais et je pense que tu es riche de tout cela.
+1
merveilleux héritage du savoir faire du passé, il faut garder et soigner ces souvenirs précieux apprendre a maitriser les machines anciennes comprendre leur fonctionnement, perdurer dans le temps et transmettre a tes enfants ce savoir faire irremplaçable
Pourquoi ?
Nicoel non, tout compte fait vous avez raison, pourquoi garder toutes ces vieilleries inutiles.....
Le prend pas mal ;-)
Ma question portait sur l'intérêt d'apprendre à maîtriser les machines anciennes, comme tu le proposes. Ex nihilo, je ne le vois pas trop, sachant que lesdites machines ont très souvent été mises au rebut par ceux-là même qui les utilisaient, pour d'autres plus évoluées, rapides, pratiques, sécurisées, etc.
Mais ce n'était de toute façon pas le propos de Kentaro qui les utilise avec profit, pour le coup...
Le métier de modeleur ne tient pas nécessairement aux machines. Il faut surtout une capacité à travailler en 3 dimensions, connaitre la résistance des bois et matériaux, leur comportement, savoir réaliser des formes pas évidentes, avoir une certaines ingéniosité, parfois construire les outils ou même les machines ad hoc, sculpter, tourner, fraiser, ajuster, le bois et le métal, tout cela avec la précision requise.
Le métier de Modeleur était souvent considéré tout en haut de la hiérarchie des métiers manuels. Ils étaient à la fois dessinateurs industriels (en tout cas, ils savaient lire un plan souvent fort compliqué), menuisiers, sculpteurs, tourneurs bois et métaux, fraiseurs métaux, ajusteurs, mécaniciens, etc...
Nicoel le faîte d'apprendre à travailler avec des vielles machines te permet une autre approche du travail et te permettre d'autres mode opératoire pour un même travaille
"En même temps", le métier avait déjà évolué. Mon grand-père ne travaillait que du vrai bois, mon père a travaillé le contreplaqué, puis la résine.
De l'orfèvrerie, merci pour toutes ces informations, j'ai appris beaucoup de choses, un bel hommage à ton père et aux modeleurs, merci
bravo. très intéressant
Un très grand merci pour nous avoir montré toutes ces magnifiques réalisations,j'ai un petit livre ayant appartenu à mon aïeul,"le manuel du menuisier modeleur" d'Aristide Poutiers que je consulte souvent.Salutations et chapeau bas pour ton papa.
Beau métier (dont je me dis parfois qu'il m'aurait plu), merci de ce partage. D'autant plus intéressant qu'il comporte des pièces destinées à Michelin, ce qui pour un Auvergnat..
Impressionnant! Merci à toi Kentaro de nous partager cette merveilleuse histoire. Émouvant.
Merci d'apprécier! :)
de véritables orfèvres ! je vois que tu as de qui tenir ...
Merci! :)
Je ne sais pourquoi je ne decouvre ces merveilles qu'aujourd'hui car je consulte le site très régulièrement. C'est magnifique, tes explications sont très intéressantes et émouvantes aussi. Merci pour ce très beau partage.
Je suis sur le cul.
Moi qui avec les 35 ans ai grandi avec des ordinateur je ne me suis jamais demandé comment c'était avant.
Un travail d'un telle précision ne peut que forcer le respect et l'admiration !!
Merci pour le partage, il faut que cela nous survive.
En tout cas, on peut vérifier le dicton : les chiens ne font pas des chats
Je ne peux être qu administratif... Magnifique !foutu société de consommation qui pousse à la production et qui a petit feux tue l artisanat....
Administratif ???
Anthropovergnat oups foutu dictionnaires !!! admiratif bien sûr
Merci ! Je ne connaissais pas le modèle perdu au souffre. Comment cela se transformait-il ? C'était une matière coulée avec réaction ? Un bloc de matière ?
Les modèles avec des joints en cuir sont encore plus jolis. Les joints sont fait de lanières de section triangulaire, la base étant la partie peau du cuir, de différentes dimensions pour obtenir différents rayons, et lorsque collées sur le modèle, la partie cuir prend une forme en cercle dans sa section.
Sinon, les joints en mastic, sont tirés avec un stylet boule du rayon désiré. Les deux méthodes sont assez magiques.
Pascaltech Oui, la technique au soufre, c'est assez spécial... J'aime beaucoup moi aussi les joints en cuir. J'en ai encore plusieurs tiroirs pleins... Cela sent très fort le cuir.
C'est la grande classe ces réalisations !! c'est incroyable de quoi étaient capables nos anciens ... je suis toujours en admiration devant de telles réalisations. TOP cet article! merci
Réalisations superbes
Grand respect et chapeau bas pour le savoir-faire et l’expérience que cela représente avant d’arriver au « bon » modèle
Illustration directe du principe de « destruction créatrice » de Schumpeter :
Mouvement permanent de :
Les métiers neufs (technologiques) remplacent les anciens (l’art et l’expérience dans le bout des doigts).
Moins poétique et moins humain mais inéluctable malheureusement : frowning2:
Au final c’est néanmoins un progrès notable!
Bonjour,
Oui, une sacrée évolution. La grande qualité du numérique, lorsqu'un usinage est bien programmé, c'est que la forme est bonne tout de suite, à la différence du travail manuel qui est un chemin pavé de pièges à chaque instant. Les deux voies ont leurs avantages, dont la moderne, numérique, est la rapidité d'exécution et la précision, et l'ancienne, le moindre coût et la capacité à créer des modèles de très grandes dimensions.
Très intéressant! Une illustration saisissante du développement de la société industrielle qui a conduit à celle dans laquelle nous vivons. Merci pour ce rare témoignage!