La génèse
Bon, ca y est, je me lance.
J'ai passé les vacances à lire sur le bois, j'ai regardé plein de vidéos.
J'ai aussi lu un certains nombres de comparatifs et d'avis, et acheté quelques piliers de mon futur ateliers : une scie plongeante avec son rail, une petite défonceuse, une ponceuse orbitale, et une scie sauteuse digne de ce nom.
Nous sommes début septembre, il est temps de passer à l'action.
C'est le week-end, et j'ai bien l'intention de me familiariser avec ces outils flambant neufs.
Mais je me méfie des essais un peu trop faciles sur quelques bout de bois.
Il me faut un projet.
Petit, modeste, mais un projet.
Le bois
Le projet sera d'autant plus modeste que je n'ai même pas vraiment de bois!
Heureusement, je trouve dans mes réserves quelques marches non utilisées d'un escalier de meunier.
Qu'est-ce que c'est? Du sapin peut-être, je ne suis pas sûr... sur le bois, j'ai tout à apprendre.
Elles font 76 x 18 cm, et 3 cm d'épaisseur.
Elles sont là depuis 15 ans, et ont travaillées.
Mais depuis que je lis sur le sujet, je vois plus qu'une simple planche déformée pour de mystérieuses raisons.
Je sais maintenant que ce matériaux hétérogène connait des variations de dimension très différentes suivant les trois axes, allant du négligeable dans le sens axiale, a une variation qui peut être supérieure à 30% dans le sens tangentiel.
Comme on le voit sur la tranche, elles sont issues du mode de sciage le plus simple, un débit en plot : le tronc est scié en tranche parallèle. Du fait de la différence de retrait entre le sens radial et le sens tangentiel, les planches subissent un effet de tuilage d'autant plus marqué que l'on s'éloigne du centre.
Mes quelques marches ont toutes "tirées à cœur" et présentent cette déformation classique de tuilage. Certaines sont également légèrement fendues.
Et bien sûr, elles sont pleines de nœuds.
Peu importe, je n'ai pas le choix. Et je suis loin de m'imaginer à l'époque que je raconterais ça 6 mois plus tard sur un site web fréquenté par des barbus du domaine :-), alors pas de pression!
Le projet
Après une courte réflexion, je visualise mon petit neveu, Larry, qui a 18 mois, assis sur le petit banc devant la table basse du salon qui lui sert de table. Alors c'est décidé, le projet sera un simple banc pour chez lui.
Deux en fait, je ne peux pas oublier son frère Sam qui a 2 ans de plus, et aura un banc un peu plus haut.
Je choisis les marches les moins déformées et les moins fendues (sachant qu'il n'y en a qu'une seule en trop).
Et j'opte pour une forme simple, en arche. Vu le poids très léger des futurs utilisateurs, et l'épaisseur de 3 cm des planches, je fais le pari que je n'aurai pas besoin d'une traverse pour renforcer les pieds, pour peu que je choisisse le bon assemblage.
Et puis cela permettra un rangement facile de l'un dans l'autre, en poupée russe.
Je pars sur un assemblage à coupe d'onglet, histoire de tester la scie également à 45°, et surtout parce que ce sera beaucoup plus beau.
Pour bloquer cet assemblage, je vais utiliser un duo vis plus renfort d'assemblage.
Mon idée initiale était de faire un assemblage à fausse languette, dans des rainures arrêtées. J'aurais probablement ainsi également testé ma défonceuse avec son support inclinable. Mais un tel assemblage est complètement invisible, ce qui est frustrant.
Alors j'ai opté pour des clés bien visibles, mais pas dans le sens habituel utilisé sur les cadres ou les boites.
Cette illustration tirée d'un article de Woodcraft Magazine montre les deux formes habituelles, la seconde étant la fausse languette envisagée au début.
Je choisi une troisième orientation pour mon renfort, qui ne figure pas dans cet article : en écharpe. (Dite moi si cela porte déjà un nom, je n'en ai pas trouvé)
En l'occurrence, une image vaut mieux qu'un long discours :
Il y aura donc une clé dans chaque angle.
Cette orientation est choisie pour renforcer l'assemblage dans le sens de l'effort maximal : j'imagine que le poids va créer une tendance de l'assise à descendre "entre" les pieds, c'est à dire à faire glisser les deux surfaces à 45° de l'assemblage l'une sur l'autre. Aussi ai-je voulu mettre mes clés en travers de ce mouvement de cisaillement.
Bien sûr, vu l’implantation, et contrairement à une fausse languette, je ne peux pas aller d'un bout à l'autre.
Je peux en donner l'illusion, en incrustant des bandes joignants les clés en traversant d'un bord à l'autre. Ce serait joli, mais je ne me sens pas à cette époque pour ce supplément de complexité. Je garde l'idée pour plus tard!
Silence, on coupe!
Le sujet du week-end, c'est l'essai de mes nouveaux outils. Ce n'est pas la restauration et l'utilisation du riflard de mon grand-père, Ferdinando (ça fait deux fois que je parle de lui, autant que vous connaissiez son prénom!).
Donc les faces resteront non planes; et j'assume à l'avance les complications que cela devrait générer à l'assemblage. Après un court débat avec moi même, je choisis de garder les surfaces légèrement convexes (bombée) à l'extérieur. On peut se dire que c'est plus agréable de s'asseoir sur une surface concave (creusée), mais que veux-tu, je suis un rebelle!
Je décide des longueurs en fonction des morceaux disponibles, et règle ma scie plongeante à 45°. Que ce soit pour les coupes en travers fil ou de délignage, je suis épaté par la qualité de surface obtenue, et le peu d'éclats en sortie, sachant que les marches ont des bords arrondis sur lesquels le pare-éclat du rail ne peut pas jouer son rôle.
Cette partie ne présente pas d'intérêt, aussi vais-je sauter directement à l'installation des clés.
Le montage d'usinage
Je suis inspiré ce jour là, et je fabrique avec deux chutes dépareillées un gabarit tout simple : il fait à la fois équerre d'angle, et va me permettre de maintenir en position les pièces à assembler, et guide pour la défonceuse.
Je suis ignorant à l'époque du débat "faut-il utiliser la partie plate ou la partie circulaire de l'embase de la défonceuse", et me base sur la partie plate. Celle-ci se situe à 55 mm de l'axe de la fraise. Je place le guide à 40 mm de l'angle intérieur de l'assemblage, ce qui me permet d'utiliser des clés assez épaisses, théoriquement jusqu'à 30 mm (mais en pratique ce pourrait même être plus à condition de mordre à l'intérieur de l'angle), et cela reste utilisable avec des planches de 20 mm, je pense. (Pour des planches plus fines, il faudra un autre gabarit, avec le guide passant plus loin de l'arrête).
Je suis d'accord, ce gabarit fait un peu penser au A du logo d'une enseigne d'hyper-marché, mais on ne se moque pas!
Voyons maintenant la bête en position :
Mes marches d'escalier ayant les bords arrondis, je n'ai pas la possibilité de mettre un martyr en sortie de la fraise, alors ce sera du scotch.
Pour ce qui concerne les clés, je vais faire un choix pragmatique et immoral, je le confesse.
J'ai repéré dans les jouets de Larry les fameux Kapla, jeu de construction basé sur des pièces simples en pin des Landes. Celles de Larry font exactement 6 mm d'épaisseur. Et il se trouve que dans mon équipement de débutant, j'ai justement une fraise de 12 mm. La perspective de ne pas avoir à débiter moi même des clés de la bonne épaisseurs, ou à gérer le décalage de la fraise me convainc de lui en piquer quelques une.
Je sais, c'est mal, et d'ailleurs je ne suis pas fier.
Mais par contre, ça a marché nickel!
Le fraisage est fait en trois passes jusqu'à la profondeur définitive, la paire de Kapla rentre juste comme il faut légèrement à force, et le collage est facile.
Le process est assez évident en image :
La découpe des pieds
Après séchage, j'ai arasé à la scie.
Puis, les pieds me paraissant un peu massif, je les ai ajourés.
Comme disait mon père, "l’œil veut sa part". Je suppose que c'est la traduction littérale d'un proverbe italien, mais on comprend bien l'idée.
Le traçage a été fait sans mesurer, avec ce qui tombe sous la main : la largeur d'une équerre, le diamètre d'un couvercle, pour peu que les proportions soient bonnes.
Pour reporter sur les quatre pieds, difficile de faire plus rapide.
Ma plus grosse surprise vient de la scie sauteuse. J'ai bien fait d'en acheter une sérieuse. Ma vieille scie sauteuse était incapable de découper perpendiculairement à la surface. Et dans les découpe courbe, c'était encore pire : le haut de la lame prenait le virage, mais le bas essayait de toutes ses forces de continuer tout droit!
La, je suis littéralement bluffé : non seulement la courbe est facile à suivre, la coupe bien perpendiculaire à la surface, l'état de surface très bon, et en prime il n'y a presque pas d'éclat. Chapeau bas à cette scie sauteuse Makita, et à sa lame d'origine.
Je vais ensuite utiliser une fraise quart de rond de rayon 10 mm, ce qui est justement le rayon des arrondis existants sur les marches. Je décide d'arrondir toutes les arrêtes, y compris sous les pieds. Les tabourets étant destinés à des enfants, il faut envisager qu'ils se retrouveront à l'envers un jour ou l'autre, et, Loi de Murphy, c'est le jour que choisira l'un des petits gars pour tomber dessus!
J'ai ensuite fini la découpe avec des tambours abrasifs à monter sous perceuse, autre outil que j'avais à étrenner.
La finition
Après avoir bouché toutes les fissures et les nœuds à la pate à bois, j'ai effectué un ponçage classique.
J'ai essayé une huile "100% invisible" de Syntilor, conservant son aspect initial au bois.
La promesse était tellement bien tenue, que j'ai été déçu! Je voulais un aspect quand même un peu satiné.
J'ai changé mon fusil d'épaule, et finalement appliqué trois couche d'un vitrificateur polyuréthane, incolore mais satiné, de chez Syntilor toujours.
En conclusion :
Toutes les erreurs (dont je n'ai pas parlé ici) que j'ai pu faire en découvrant mes outils et ont étés assez bien masquées, et le résultat n'est pas mauvais.
Je regrette juste de ne pas avoir eu du bois noir pour faire des clés plus contrastées.
Mais le résultat me plait, je trouve le design joli.
Et il plait aussi aux destinataires, c'est l'essentiel!
Bon, ben puisque ça semble marcher, on continue dans l'aventure!
Épilogue
Quelques temps plus tard, je trouve dans le numéro 50 d'avril 2019 de Bois+ un article très intéressant de Bruno Meyer (un de plus) sur les renforts d'assemblage à coupe d'onglet.
J'y apprend que ce que j'ai fait s’appelle un renfort à clé droite, et est effectivement bien adapté pour des efforts de cisaillement plan.
Par ailleurs, Bruno y décrit un autre gabarit d'entaillage.
Comme le mien, il est simple, et composé d'une équerre et d'une écharpe à 45° pour guider la défonceuse. Mais à la différence du mien, l'équerre est située à l'extérieur de l'assemblage.
L'avantage évident de son gabarit, c'est que l'équerre sert de martyr pour les entailles débouchantes, et évite les éclats. Ca ne faisait pas de différence dans mon cas, mais en général on ne travaille pas sur des arrête déjà arrondies à ce stade de l'assemblage, c'est donc un avantage important.
L'avantage du mien, c'est qu'il est encore plus simple (et, je me lance : je ne pense pas qu'on puisse faire plus simple!)
A chacun de voir en fonction des circonstances.
En tout état de cause, je recommande les deux articles de Bruno sur ce sujet figurant dans ce même numéro de Bois+.
Discussions
Jolie la petite touche avec les clefs