En faisant des recherches pour quelque chose qui n'a rien avoir le bois, je suis retombé sur un extrait de la Pensée Sauvage de Claude Levi Strauss où il définit la différence entre un bricoleur et un ingénieur...
Ça n'a à première vue pas de lien direct avec le travail du bois et pourtant il décrit un état d'esprit que je retrouve souvent sur ce site.
- « De nos jours, le bricoleur reste celui qui œuvre de ses mains, en utilisant des moyens détournés par comparaison avec ceux de l’homme de l’art. /…/Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus et procurés à la mesure de son projet: son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s’arranger avec les « moyens du bord », c’est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. L’ensemble des moyens du bricoleur n’est donc pas définissable par un projet (ce qui supposerait d’ailleurs, comme chez l’ingénieur, l’existence d’autant d’ensembles instrumentaux que de genres de projets, au moins en théorie) ; il se définit seulement par son instrumentalité, autrement dit, et pour employer le langage même du bricoleur, parce que les éléments sont recueillis ou conservés en vertu du principe que « ça peut toujours servir ». /…/ Sans jamais remplir son projet, le bricoleur y met toujours quelque chose de soi.»*
Claude Levi Strauss, La pensée sauvage – Agora (1962)
Voila, c'est pas une découverte incroyable, mais ça occupe l'esprit quand on peut pas aller à l'atelier.
3 réponses
Pour moi l'ingénieur c'est celui qui :
- construit,
- avec des méthodes plutôt scientifiques,
- et plutôt rationnelles (le process, comme dit Kentaro).
L'ingénieur n'a pas besoin d'être créatif, le bricoleur n'a pas besoin d'être rationnel. Lui, peut "bricoler" sans but par exemple, mais surtout ça reste "artisanal" dans l'acception "pas industriel" du terme.
Quand je règle ma machine et que je prépare mon atelier pour passer 12 pieds de tréteaux à la toupie en faisant le moins de gestes inutiles, je suis ingénieur. Quand je fais un manala avec la scie et la râpe pour les 8 ans de L'AdB, je suis bricoleur.
C'est ma définition perso, hein, je ne cherche pas à l'imposer !
C'est l'essence même du bricoleur.
Pour ma part, je m'éclate a détourner des choses de leur emplois d'origine, pour les utiliser pour fabriquer des chose à mille lieux de leur destination première.
Super, ce texte, surtout quand on voit qu'il date de 1962.
Aujourd'hui, c'est encore plus vrai, parce que tout le monde a accès à internet, et qu'internet regorge d'idée d'obtenir un résultat par des moyens qui ne sont pas ceux de l'homme de l'art.
Les "makers" sont légions, et je trouve ça très chouette, très stimulant pour la créativité.
L'autre facteur qui va augmenter cette vague de fond, c'est la facilité que donne la fabrication additive à quiconque de faire des formes avec des matériaux plastiques et métalliques qui autrefois requérait un processus industriel (moulage ou autre).
Pour moi, c'est déjà énorme quand tu arrives à un résultat de belle qualité sans les équipements et le savoir faire de l'homme de l'art.
Et tant pis bien sûr si ça t'a pris dix fois plus de temps, on ne peut pas non plus se comparer à l'homme de l'art.
Quand je vois par exemple ces centaines de vidéos sur comment raboter sans raboteuse ou dégauchir sans dégauchisseuse (et sans paire d'affûtage non plus), il y a des trésors d'imagination, des centaines d'expériences, des montages brillants, d'autres bidons...
La difficulté n'est plus de trouver des idées, mais de trouver quelque chose qui marche vraiment dans la durée au delà de la vidéo flatteuse sur youtube, ou le gars finit en tendant son pouce vers le haut avec un sourire forcé, mais on sent que son gadget, il ne l'utilisera jamais.
L'inconvénient de tout ça (mais ça se discute!) c'est qu'on devient obsédé par le comment, plus que par le quoi.
Le pro, c'est le contraire. Quand le client lui demande quelque chose, en général il sait comment le faire, et ils discutent le projet.
Le bricoleur ne discute pas le projet sans penser à ce qu'il a comme chute à réutiliser, et à comment le faire sans scie à format!
Après, moi ça m'arrange : je trouve dans le monde du bois les montages d'usinage beaucoup plus amusant à concevoir que les meubles qu'ils vont servir à construire! :-)
C'est un très beau texte ! Voici ce qu'il dit aussi :