Je vous propose de suivre les principales étapes de construction d'un surf en bois. Le projet s'étant déroulé sur tout pile un an et entre plusieurs lieux (commencé à l'atelier de l'entreprise dans laquelle j'étais salarié et fini à mon appartement), certaines n'ont pas été documentées par photo mais je tacherai de répondre aux questions si besoin.
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Préparation des plateaux pour le pont et la carène
Les planches de red cedar sont toutes rabotées à une épaisseur régulière supérieure à l'épaisseur visée au final, soit 10mm pour l'instant. J'ai pris pas mal de temps pour les "marier" harmonieusement, étant donné que les largeurs et teintes variaient. J'intègre également des lattes en pin maritime, pour l'esthétique du contraste mais on verra plus loin que ce n'était pas une très bonne idée.
Les plateaux sont assemblés par collage à la colle polyuréthane D4. J'utilise du scotch de peintre pour assembler les planches "sous tension" en tirant bien dessus, je retourne et ouvre la "charnière" ainsi créée. Une fois bien encollée, je referme la charnière et mets l'ensemble sous presse (serre-joints dormants et cales permettant de maintenir la planéité).
Je profite ensuite de la calibreuse de l'atelier que mon patron à l'amabilité de me laisser utiliser le soir, pour descendre les plateaux une fois collés à leur épaisseur finale (6mm pour le pont et 5mm pour la carène).
Gabarits et banc de collage
En parallèle de la préparation des plateaux pendant les temps de collage je prépare des gabarits d'après les plans d'elnajam imprimés sur traceur à l'échelle 1.
Le contour est contrecollé à la colle en spray sur une feuille de mdf épaisseur 5mm, découpée à la petite circulaire et affiné avec un rabot de paume. L'atelier disposant d'une fraiseuse 3 axes il aurait été judicieux de l'employer pour ces découpes, mais il n'était pas possible de l'utiliser sans la personne en charge de la machine, tant pis pour cette fois...
Le banc de collage est fait de 3 planches (chutes de démolition d'une charpente) découpées à la scie à ruban selon le profil du "rocker" (cambrure longitudinale de la planche) et recouvert d'un lattis.
Découpe et assemblage du squelette
Je n'ai pas pensé à prendre de photos de la découpe du squelette, dommage.
Rien de sorcier : les couples transversaux placés tous les 30cm et l'arête centrale sont découpés d'après le gabarit papier (imprimé échelle 1 et collé directement sur les planches à la colle en spray) à la scie sauteuse, et percés de trous à la scie cloche pour alléger et laisser l'air circuler d'une cavité à l'autre.
L'ensemble est ensuite assemblé à mi-bois en utilisant le banc de collage comme support.
Assemblage carène et squelette
La carène (dessous de la planche en contact avec l'eau) est collée avec le squelette sur le banc, pour maintenir l'ensemble au cambre voulu (rocker).
Pas de photos du collage (assez stressant pour tout ajuster en moins de 20 min, temps ouvert de la colle PU que j'avais. Pour les étapes suivantes (collage du pont) j'ai acheté de la colle à prise lente (1H30), bien plus pratique.
Collage et façonnage des "rails" (carres)
J'ai peu de photos de l'assemblage des rails, mais ils sont constitués de 4 épaisseurs de red cedar de 8mm, découpé selon l'outline (contour de la planche) en plusieurs sections assemblées par coupes à sifflet.
Ensuite, on sort le rabot bien affuté pour les raboter selon la courbure du pont en vérifiant régulièrement à chaque couple que la courbe "file" bien à l'aide d'une latte souple.
On voit aussi que j'ai choisi d'ajouter des renforts sous le pont pour éviter qu'il ne s'affaisse sous les coups de talon et genoux.
Collage du pont
Même principe que le collage de la carène. On voit à l'avant une fissure sur une zone de contrainte : à cet endroit le pont remonte vers le nose longitudinalement, et forme un concave transversalement : trop de contraintes, cela crée une surface non-développable que le bois apprécie peu et je soupçonne la différence de rigidité entre le red cedar et le pin maritime d'avoir favorisé la fissure. Je la comblerai à l'epoxy.
J'installe également 2 vis de décompression, dont le but est d'équilibrer la pression entre l'extérieur et le volume d'air intérieur (sinon lorsque l'air contenu dans la planche chauffe et augmente de volume celle ci risque d'exploser ou en tout cas de se fissurer)
Shape des rails
On rejoint désormais les mêmes étapes que la fabrication d'un surf "conventionnel" (pain de mousse stratifié), à savoir :
-mise en forme des carres au rabot pour suivre le profil indiqué sur les plans
-défoncage, encastrement et collage des boitiers de dérives
-fabrication et pose du "plug de leash" en moabi
Ponçage et finition
On approche de la fin ! Ponçage jusqu'au grain 240, suivi d'un vernis marin le tonkinois appliqué en 5 couches.
Mise à l'eau et déboires
La planche est waxée (recouverte d'une cire antidérapante sur la zone où l'on se tient debout).
La première session est mitigée. Super glisse à la rame, bonne flottaison et belle inertie (à 8kg on est quand même plus lourd qu'une planche en fibre) : la planche fonctionne et est très agréable et accessible à surfer c'était le but premier du projet, en plus du défi technique !
En revanche après 2h30 dans l'eau et être passée entre les mains de 3 surfeureuses, on constate qu'elle a pris l'eau et pas qu'un peu : au moins 2 litres sont entrés... Et ressortent aussitôt par la vis de décompression une fois ouverte, qui sert donc également de drainage.
Le problème vient d'un défaut de collage entre le pont et les rails, que j'avais aperçu en poncant mais négligé dans ma hâte de finir le surf pour l'essayer. Je pensais que le vernis comblerait (c'est des micros trous de moins d'un mm) mais l'eau ne pardonne pas.
Après un ponçage pour remettre le bois à nu et calfeutrage par une résine epoxy chargée en silice pour l'épaissir le problème est réglé : elle est retournée à l'eau à plusieurs reprises et n'a plus jamais pris une seule goutte (on entend même un pschit satisfaisant en ouvrant la vanne après une session, ce qui indique qu'au soleil la pression est montée et donc que l'intérieur du volume n'échange ni eau ni air avec son environnement).
Bilan
Un projet passionnant et riche en apprentissages pour le charpentier terrestre que je suis. Plein de méthodes à "inventer", d'outils et gabarits à fabriquer, et une bonne dose de travail manuel et au feeling et à l'œil notamment sur le shape des rails.
L'idée était de me faire la main avant d'envisager de construire un petit bateau en bois, vu tout ce que j'ai dû apprendre sur le tas, les erreurs commises et la durée du projet en parallèle de mon activité pro je pense que je vais pour l'instant rester sur des très petite embarcations (un autre surf ou peut-être un canoë) avant de voir plus gros.
Le prochain surf sera sûrement construit en pauwlonia, qui semble être le choix de prédilection des shapers bois professionnels. Il est encore plus léger que le red cedar et surtout naturellement hydrophobe.
Discussions
Je suis sans mots ! C'est magnifique !
La planche est aussi belle à l'intérieur qu'à l'extérieur. Belle et fonctionnelle !
Bravo et merci pour le partage. Passionnant !
Merci je n'en mérite pas tant. Je trouve qu'en effet l'intérieur est beau sans chercher à l'être : il répond seulement à une exigence fonctionnelle mais l'ensemble est harmonieux comme sur les bateaux en bois dont la charpente me fascine.
Vraiment top, est très belle planche.
Dans ma tête j'étais persuadé que tu allais finir par de l'époxy, et bin non :)
Si tu as des photos de la vis de décompression je suis preneur.
Bravo et bonne glisse. Moi ce sera demain matin ;)
Magnifique projet, elle est trop belle cette planche! Très intéressant de voir aussi les apprentissages et le parcours pour arriver à quelque chose de pleinement fonctionnel.